Sur les plates-formes de microservices, les petites mains de la désinformation


Début mars 2022, une étrange vidéo fait son apparition sur YouTube. Il y est fait mention d’un procès à venir et d’une famille injustement victime du système judiciaire américain. Un homme y parle face caméra, sans jamais être présenté. « Un procès très important se tiendra à Charlotte [en Caroline du Nord], lundi, et j’aimerais remercier le légendaire avocat Stephen Paul Lindsay pour ses efforts et son aide apportée à la famille Freitekh », explique l’inconnu.

« Story Killers », enquête sur les mercenaires de la désinformation

Durant plusieurs mois, une vingtaine de rédactions, dont celle du Monde, ont enquêté, au sein du consortium Forbidden Stories, sur les entreprises spécialisées dans les manipulations d’opinions publiques et la diffusion de fausses informations. Dans le cadre de ce projet baptisé « Story Killers », trois journalistes du consortium ont notamment pu participer, en se faisant passer pour des intermédiaires d’un potentiel client français, à plusieurs rendez-vous avec des officines vendant des outils d’influence « clés en main ».

Cette enquête a notamment permis de révéler l’existence de « Team Jorge », une très discrète société israélienne qui revendique son ingérence dans plusieurs dizaines d’élections à travers le monde. Elle offre à ses clients un arsenal de services illégaux, depuis le piratage des boîtes e-mail et messageries privées d’adversaires jusqu’à la diffusion massive de campagnes d’influence grâce à un gigantesque réseau de faux comptes sur les réseaux sociaux.

La famille Freitekh, ici, désigne Izzat Freitekh et son fils, Tarik, qui seront tous deux condamnés en mars 2022, avec une peine prononcée en décembre respectivement de quatre ans et près de huit ans de prison pour avoir détourné des aides économiques octroyées par l’Etat dans le cadre de la crise liée à la pandémie de Covid-19. L’homme de la vidéo, Arthur (le prénom a été changé), ne les a vraisemblablement jamais rencontrés et n’a aucune connexion avec ce dossier. Et pour cause : il s’agit d’un internaute rémunéré pour enregistrer des messages face caméra.

Une simple recherche permet de faire remonter des dizaines de vidéos, où l’on voit Arthur vanter aussi bien des entreprises, des cryptomonnaies ou des investissements plus que douteux. Sur la plate-forme de microservices Fiverr, il propose, pour moins de 10 euros, d’enregistrer un discours préécrit.

Des vidéos de soutien pour 25 euros

Arthur n’a pas répondu aux sollicitations du Monde, mais il n’est pas le seul à avoir défendu la famille Freitekh contre rémunération. Dans une autre vidéo YouTube, présentée comme un flash d’une chaîne d’information, une jeune femme annonce en fanfare que « le légendaire avocat Stephen Lindsay a récemment rejoint l’équipe juridique de la famille Freitekh, pour faire la lumière sur le dossier qui a choqué le monde ». Elle et sa partenaire proposent aussi, sur leur profil Fiverr, « The Ad Twins », d’enregistrer des vidéos pour moins de 25 euros. Contactées, les deux femmes, qui affichent refuser les « contenus politiques », n’ont pas répondu aux sollicitations du Monde.

Politiques, ces vidéos le sont pourtant. Elles ont été utilisées dans une brutale campagne de dénigrement en ligne qui s’est déroulée sur près d’un an à partir de novembre 2021, dépeignant une image de ce procès bien différente de la réalité judiciaire. Des dizaines de comptes Twitter automatisés, mais aussi de prétendus sites d’information, ont été utilisés par un acteur non identifié pour le compte d’un client, lui aussi inconnu, afin de glorifier la famille Freitekh et d’attaquer l’assistante du bureau du procureur de Caroline du Nord, initialement chargée des poursuites.

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Catégorie article Politique

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